par Jonathan Borella
En tant qu’étudiants du Dharma, nous pratiquons de façon à faire grandir notre compassion. Le Soutra de l’Amour nous exhorte à »laisser notre amour infini envelopper tout l’univers et tous les êtres, de haut en bas et de gauche à droite », et à nourrir en nous le voeu que tous les êtres, qu’ils soient frêles ou forts, grands ou petits, visibles ou invisibles, vivent en parfaite tranquillité. Nous pourrions également ajouter à cette liste les personnes qui nous ont fait du mal et qui nous ont trompés. C’est avec ces dernières que beaucoup de pratiquants rencontrent des obstacles. Comment ressentir de la compassion pour ceux qui nous ont fait ressentir de la douleur, quand la colère et la tristesse sont encore si après?
Au cours des retraites, cette question est souvent posée à des enseignants de méditation, et leurs réponses contiennent beaucoup de sagesse. Quand nous avons été trahi par notre partenaire, par un membre de notre famille, ou par un ami, quand nous avons été exploité ou qu’on s’est servi de nous à notre détriment, quand nous avons été persécuté par un étranger, la promesse nous est faite que nous pouvons trouver un soulagement dans la compréhension. Avec la compréhension, nous devenons capable de pardonner, et le pardon peut transformer notre colère et notre tristesse en compassion et en paix. Les enseignants du Dharma ont raison de nous rappeler que les personnes qui nous causent de la souffrance souffrent elles aussi, contraintes peut-être par l’avidité, la peur, la colère, ou tout autre affliction. Dans de nombreux cas, cette vérité est aisée à voir. Pourquoi donc avons-nous encore du mal à pardonner?
Comme beaucoup, je me suis tourné vers ma pratique de la méditation pour apprendre comment pardonner. Cela ne fait pas de moi quelqu’un d’unique que d’avoir été blessé par quelqu’un d’autre. Et, comme c’est aussi tout à fait commun, la personne qui m’a blessé était quelqu’un avec qui je vivais et avec laquelle j’avais une relation très proche. Dans ces types de relation, il est typique qu’on trouve des blessures multiples, des promesses brisées à répétition, des croûtes arrachées et cicatrisées.
Parce que je vivais avec cette personne et que je la connaissais intimement, je n’avais jamais besoin qu’on me rappelle qu’elle souffrait. Je pouvais voir par moi-même sa frustration dans la vie, son anxiété, son karma. Les conseils que j’avais entendus ne m’étaient pas d’un grand soutien. Nous souffrons tous. Chacun a dans sa vie un certain chagrin et de la frustration. Mais chacun ne déverse pas tout cela sur d’autres personnes. Ma conscience de sa souffrance n’était pas suffisante pour que je la pardonne. En un sens, cette conscience amenait l’effet contraire. J’établissais un lien entre sa souffrance et la mienne et je considérais la première comme la cause de mes tourments. Quand je l’observais se débattre, le ressentiment surgissait en moi.
Au rang des êtres que le Soutra de l’Amour dit être dignes d’amour, il y en a un que nous devrions ajouter: nous-même. Quand on est blessé par d’autres, notre tendance est de diriger toute notre attention vers ces derniers plutôt que vers les blessures qui se trouvent dans notre coeur. Qu’on alimente des fantaisies de vengeance ou qu’on s’obsède à comprendre leur souffrance, notre habitude est de fuir nos propres sentiments de blessures. Thây démontre l’absurdité de cette habitude avec son histoire de la maison en feu. Si votre maison prend feu, allez-vous vous lancer à la recherche de la personne qui a suscité l’incendie ou allez-vous éteindre le feu? Quand nous éteignons les flammes dans notre coeur et notre esprit, nous pratiquons la bonté aimante envers nous-même, telle que l’enseigne le Soutra de l’Amour. Nous cessons de fuir notre douleur.
Nous revenons en nous pour être avec nos sentiments. Nous disons, »Aïe, ça fait mal ». Éprouver de la compassion pour soi-même est différent d’être simplement désolé pour soi-même. Avec la compassion, nous savons que nous souffrons avec tous les êtres. Nous ne demandons jamais, »Pourquoi moi? » ni ne disons, »Je ne mérite pas ça ». Mais nous savons aussi que nous sommes digne de paix et de guérison. La compassion n’est pas quelque chose que nous demandons au monde, c’est quelque chose que nous nous offrons à nous-même, et avec la compassion, la compréhension jaillit. En revenant en nous-même pour embrasser nos émotions, nous voyons clairement notre douleur. Nous reconnaissons toute la colère que nous avons utilisé pour protéger notre coeur de la douleur et de la peur, et nous savons à quel point c’était une tentative futile que d’essayer de comprendre la souffrance de quelqu’un sans comprendre la notre.
La difficulté à pardonner est directement proportionnelle au degré du heurt qui a été causé. Il est plus facile de pardonner quelqu’un qui vole cinq dollars que quelqu’un qui en vole cinq-cent. Ainsi, guérir notre sentiment de douleur est ce qu’il y a de plus sage à faire si notre intention est de pardonner. Embrasser la douleur est un aspect de la guérison mais nous ne pouvons pas en rester là. Si tout ce que nous faisons jamais est de rester établi au sein de notre souffrance, nous allons créer une ornière dans notre esprit. Dans le Bouddhisme, cette ornière est appelé samyojana, une formation interne. Nous avons besoin de rester avec notre douleur juste assez pour reconnaître sa réalité, comprendre ses causes et ses effets, et donner naissance à la compassion pour nous-même et pour les autres. Ce que nous ne devrions pas faire, c’est créer un récit ou une histoire de notre vie. De cette manière, nous pratiquons les deux premières Nobles Vérités du Bouddha: la conscience de la souffrance, et le regard profond dirigé sur les causes de la souffrance. Nous verrons aussi la nécessité d’aller au-delà, de guérir.
Le deuxième aspect de la guérison consiste à nourrir la joie – la troisième et la quatrième Nobles Vérités. Nous posons un regard profond sur notre vie et nous voyons que nous avons tous été blessé. Mais nous pouvons toujours respirer, toujours sourire, toujours nous asseoir avec stabilité, et toujours savourer les merveilles de la vie qui sont toujours disponibles. Nous ne devrions pas laisser un instant de trahison déteindre sur tout notre monde. Nous n’avons vraiment pas à regarder de façon trop forcée pour voir que le monde est plein de lumière et d’amour. Le soleil qui s’avance en perçant les nuages, un petit enfant à vélo, un mot gentil prononcé par un ami, un repas de famille – toutes ces choses peuvent amener un sourire sur notre visage et de la légèreté dans notre coeur. La pratique consiste à diriger notre attention vers ces merveilles tous les jours, à les accueillir, et à exprimer notre gratitude. Si notre douleur est si grande que nous sentons que notre vie a été détruite, alors, ces petits moments sont les briques que nous utilisons pour la reconstruire.
S’établir dans ces petits moments de la journée peut nous apporter beaucoup de paix. Mais c’est agir selon notre aspiration la plus pure qui nous procure le plus grand bonheur. Au début, il se peut que nous ne sachions pas ce à quoi une telle vie puisse ressembler. Nous ne savons pas où commencer et nous sommes trop intimidés ne serait-ce que pour commencer un effort. C’est la raison pour laquelle au début de notre reconstruction, cela nous aide que d’avoir une direction. Le Bouddha nous offre cette dernière dans le Soutra du Bonheur. Dans ce soutra, le Bouddha décrit les conditions qui créent une vie heureuse.
Vous tenir loin des malfaiteurs,
Vivre en compagnie des sages,
Vénérer ceux qui sont dignes d’être honorés,
Ceci est le plus des bonheurs.
Vivre dans un bon environnement,
Pouvoir planter de bonnes graines,
Et suivre un bon chemin,
Ceci est le plus grand des bonheurs.
Avoir une éducation et un bon métier,
Savoir pratiquer le vinaya,
Et utiliser la parole aimante,
Ceci est le plus grand des bonheurs.
Prendre soin de vos parents,
Chérir votre famille,
Exercer une profession qui vous convient,
Ceci est le plus grand des bonheurs.
Vivre dans la droiture et la générosité,
Aider vos parents proches et lointains,
Vous comporter d’une manière irréprochable,
Ceci est le plus grand des bonheurs.
Vous abstenir de faire le mal,
De prendre de l’alcool et de la drogue,
Faire toujours le bien, aussitôt que vous le pouvez,
Ceci est le plus grand des bonheurs.
Être humble, poli et reconnaissant,
Vous contenter de peu,
Ne pas manquer une occasion d’apprendre le Dharma,
Ceci est le plus grand des bonheurs.
Être persévérant, se transformer et progresser dans la bonne direction,
Être proche des moines et des moniales,
Assister aux discussions du Dharma pour apprendre,
Ceci est le plus grand des bonheurs.
Vivre dans la vigilance et la pleine conscience,
Apprendre les vérités profondes et merveilleuses,
Faire l’expérience du Nirvana,
Ceci est le plus grand des bonheurs.
Vivre dans la société
Sans jamais avoir le coeur affecté par celle-ci,
Demeurer dans la paix, toute souffrance éteinte,
Ceci est le plus grand des bonheurs.
La personne qui réussit à vivre ainsi
Sera en sécurité où qu’elle aille,
Sera solide où qu’elle arrive
Car le plus grand des bonheurs vient d’elle-même.
(Mahamangala Sutta, Sutta Nipata, 2.4)
Voilà les conditions au sein desquelles nous devrions pratiquer et que nous devrions nous efforcer de créer dans notre vie. Remarquez que le Bouddha n’a jamais dit, »Être toujours traité avec beauté et avec respect, sortir vainqueur de toute controverse, ne jamais faire l’expérience de la souffrance ou de la frustration, ceci est le plus grand des bonheurs ». C’est une bonne nouvelle. Cela signifie que nous pouvons être heureux quelques soient les obstacles qui sont présents dans notre vie. Mais nous devons rendre cela possible par nous-même.
Pendant la durée de notre guérison, il peut s’avérer nécessaire de créer de l’espace entre nous-même et la personne qui nous a infligé un heurt. Ce n’est pas là une façon de punir. Mais, pour la cause de notre guérison, peut-être avons-nous besoin de dire, »Tu m’as blessé. Je veux te pardonner, mais dès lors que je te vois, dès lors que j’entends ta voix, dès lors même que je pense à toi, je ressens tant de colère et de tristesse. J’ai besoin de temps pour moi parce que je sais que je ne peux pas guérir mes blessures et te pardonner tant que ces sentiments sont aussi intenses ». Si nous avons vraiment dans l’intention de pardonner, alors nous ne pouvons pas nous contenter de simplement dire ces phrases. Une fois que nous disons ces mots, nous avons la responsabilité de transformer nos sentiments. Nous pouvons avoir besoin d’un jour, ou d’une semaine, ou même d’années entières.
Aussi longtemps que cela puisse prendre, si nous pratiquons afin d’embrasser notre douleur et de nourrir notre bonheur, nous remarquerons un changement en train d’advenir. Un jour, nous aurons cette vision profonde qui nous dit: »Je ne suis pas prisonnier du passé. Les traumatismes qui sont advenus auparavant n’ont plus de pouvoir sur moi. Je suis heureux. » Ce moment est le moment du pardon, et il est très différent de la façon dont on avait pu pensait qu’il allait être. Nous pensions qu’il nous faudrait renoncer à une part de nous-même afin de pardonner. Nous pensions qu’il nous faudrait trouver un moyen d’excuser le comportement de l’autre personne. Nous pensions que le pardon rétablirait notre relation en la ramenant à son état antérieur. Nous voyons à présent que rien de cela n’est vrai. Le pardon n’est pas un formidable changement, ce n’est pas un éclair subi venant du ciel qui change tout. Un jour, nous devenons simplement conscient du fait que nous sommes passé à autre chose, que nous ne recevons plus de ressentiment. Nous ne nous sentons pas très différent de la veille le jour où nous pardonnons parce qu’en vérité, nous avions déjà pardonné avant même d’en être conscient. Si nous ressentons quelque chose de nouveau, c’est le sentiment d’une force nouvelle d’une libération: nous savons désormais que notre bonheur dépend de la manière dont nous pensons et agissons dans le moment présent, pas de ce que quelqu’un nous a fait par le passé.