Un Enseignement donné par Kaira Jewel à ABC Home, New York, en Septembre 2016
Cher Thây, chers amis, chère Sangha,
Sur mon chemin jusqu’à ABC Home, depuis l’arrêt de bus auquel je suis descendue ce matin, je me suis rendue compte que les rues donnaient un sentiment différent de ceux dont j’avais fait l’expérience lors de mes voyages précédents à New York. Des barrières étaient mises en place, et il n’y avait pas beaucoup de voitures. Bien que je sache que nous étions dimanche matin et que cela expliquait l’absence de voitures, l’énergie me semblait très douce et très tendre.
Je me suis arrêtée pour réajuster mon sac à dos, et j’ai demandé à quelqu’un pourquoi ces barrières avaient été mises en place. Il m’a répondu qu’il y avait eu deux bombardements la nuit dernière. Je me suis sentie si reconnaissante d’être en chemin vers une journée de pratique après avoir entendu ces nouvelles. Ce pour quoi nous sommes rassemblés ensemble aujourd’hui est exactement ce dont nous avons besoin tout le temps, mais particulièrement quand nous sommes tous en train de faire l’expérience des effets de ce type de violence et d’actions néfastes.
Quand nous étions en train de pratiquer la marche méditative plus tôt aujourd’hui, je sentais que nous étions en train de créer un champ de force ensemble. C’était un type de nourriture dont j’avais besoin, et cela me nourrissait. C’était comme me désaltérer d’un sentiment de paix à travers nos pas paisibles sur la terre, notre calme et notre acceptation les uns des autres, et l’espace qu’on maintenait les uns pour les autres.
Nous parlons de la Sangha, ou de la communauté spirituelle de pratique, comme d’un lieu de refuge, comme d’un bateau sur lequel nous pouvons venir et être en sécurité, sur lequel nous pouvons avoir l’espace et le temps pour revenir à nous-mêmes, et prendre soin de nous-mêmes. Nous créons cela les uns pour les autres; avec chaque respiration et chaque pas en pleine conscience, nous sommes en train de construire un récipient. Nous sommes en train de construire un champ de force qui est réel, pour nous-même et pour les autres. Ce champ de force— ces graines de présence, d’être vraiment disponible pour nous-même et les uns pour les autres— ne prend pas fin quand nous partons d’ici. Ainsi, cette énergie qu’on crée ici ensemble affecte cette ville entière, cette planète entière, tout l’univers.
Nous venons d’avoir un exercice d’écriture pour réfléchir à ce à quoi ressemble l’amour en action. Ce qui me vient à l’esprit, c’est que ceci précisément est ce à quoi ressemble l’amour en action—venir et se poser parce que c’est seulement quand nous sommes vraiment installés en nous-mêmes que nous pouvons vraiment offrir quelque chose qui ait de la valeur et qui soit approprié en réponse à l’injustice et à la violence.
Dans cette journée d’exploration de l’endroit où l’esprit et l’action se rencontrent, et de ce à quoi ressemble l’amour en action dans notre propre vie et dans notre communauté, il y a d’abord une invitation à commencer avec nous-même et à nous arrêter afin de bien prendre soin de nous. Je sais qu’en ce qui me concerne, j’ai besoin d’aide pour faire cela. C’est difficile de le faire complètement par moi-même, et je peux arriver à un endroit de repos plus profond en moi quand je suis avec d’autres personnes qui font la même chose.
Quelques questions que j’aimerais vous offrir sont les questions sur lesquelles je suis en train de méditer. Pour ceux d’entre nous qui nous identifions nous-mêmes en tant qu’activistes, et pour nous tous, quelque soit la manière dont nous nous trouvons être impliqués avec la souffrance dans notre entourage et dans notre monde:
- Comment pouvons-nous soutenir une culture de réflexion sur soi dans notre activisme et dans notre travail pour le changement?
- Comment pouvons-nous nous organiser autour d’une cause tout en demeurant ouvert à la nature de changement constant du sujet?
- Comment pouvons-nous nous nourrir de façon à éviter le surmenage?
- Comment pouvons-nous éviter de renforcer les systèmes d’oppression que nous sommes en train de travailler à changer?
- Comment demeurer an accord avec nos aspirations et nos intentions les plus profondes?
La pleine conscience peut être appliquée avec succès à notre activisme et à notre travail pour un changement social de façon à nous aider à cultiver une façon de voir qui est déjà elle-même le changement que nous souhaitons créer.
Ainsi, une partie de la pleine conscience, une partie de ce qui consiste à nous préserver avec soin dans le travail que nous faisons, dans l’engagement que nous choisissons, est d’être conscient de combien nous pouvons prendre. J’ai l’impression que nous sommes dans une société où un grand nombre d’entre nous sont sur le point d’être débordés— si ce n’est complètement débordés. Je rigolais avec une amie l’autre jour en lui disant que pour moi, les mails équivalaient à être débordée. Souvent, quand j’ouvre ma boîte mail, je pense: « Oh mon Dieu, je ne suis pas capable d’aller à ce rythme ». C’est de la réalité interpersonnelle qu’il s’agit ici, et ce n’est là qu’un seul niveau. Et puis il y a tout ce qui est en train de se passer dans notre monde, qui donne l’impression d’être en train de tournoyer de plus en plus vite hors de contrôle.
Voici une histoire Zen:
Quelqu’un alla vers un moine et lui demanda: « Qu’est-ce au juste que cette voie enseigne? Dis-le moi juste en une phrase: qu’est-ce que cette voie enseigne? Donne-moi la version courte ».
Et le moine répondit: « Cette voie enseigne une réponse appropriée ».
Comment répondre de manière appropriée aux situations qui se présentent dans notre vie?
De manière à répondre de façon appropriée avec de la compassion, de la sagesse, et de la clarté, nous avons besoin d’être centrés et fermes. Il y a une calligraphie là-bas qui dit: « Garde ton assise solide, tous les ennuis se dissiperont ». Comment garder cette solidité au coeur de nos ennuis de façon à pouvoir vraiment répondre de façon appropriée?
Pour moi, une partie de cela consiste à prendre ce que nous pouvons prendre et pas plus. Trouver des façons d’évoluer et de travailler avec ce que nous sommes en train de prendre, de façon à ce que cela n’obstrue pas les voies en nous. C’est pour cela que cet après-midi, je vais offrir une session d’InterPlay, qui est une pratique basée sur le corps, sur la sagesse du corps, qui nous aide à faire circuler ce qui est en nous pour ne pas que tout se bloque. C’est une pratique ludique et très puissante.
J’ai eu la chance d’écouter un conteur d’histoires du nom de Martin Shaw en Angleterre. Il parlait du rôle de l’art dans le travail social, et il s’est référé à l’histoire de Méduse. Persée est allé tuer Méduse, le monstre avec des serpents à la place des cheveux, qui était capable de transformer en pierre quiconque la regardait. Persée put la tuer en la regardant par le biais de son reflet sur son bouclier, de façon à pouvoir l’approcher sans être changé en pierre.
Martin Shaw disait que ce bouclier, pour beaucoup d’entre nous, c’est l’art. C’est un moyen de regarder ce qu’il y a de funeste dans le monde: une façon d’être présent aux problèmes réels qui existent sans être transformé en pierre, sans être immobilisé par l’immensité des problèmes auxquels nous faisons face. J’ajouterais que ce bouclier est aussi notre pratique spirituelle— notre aptitude à revenir en nous, à prendre refuge dans la communauté de façon à pouvoir être en contact avec la grande souffrance qui nous entoure et à pouvoir agir pour la soulager sans être dévasté par son intensité.
Je pense qu’une pièce importante de l’amour en action est de nous protéger, de réfléchir à ce que cela signifie de s’engager, tout en prenant soin de notre tendre coeur.
J’étais en train de mener une retraite au Printemps, et une femme a partagé que cela avait été si important pour elle d’être à cette retraite, parce qu’elle n’était pas en train d’écouter les nouvelles à longueur de journée. Elle nous a dit qu’elle faisait partie du milieu politique et qu’elle suivait tous les détails de la campagne présidentielle. Elle avait l’habitude d’écouter la radio, de regarder les nouvelles à la télévision, et de lire à ce sujet sur internet. Plusieurs fois par jour, elle recevait ces informations, et elle nous a dit que ce n’était pas bénéfique pour elle. C’est seulement quand elle a pris une pause et qu’elle est venue se nourrir d’un autre type de nourriture qu’elle a réalisé à quel point elle avait besoin de cette pause et à quel point c’était superflu de recevoir ce flux constant d’information.
Le dicton « On devient ce que l’on mange » est habituellement appliqué à la nourriture comestible, mais nous avons besoin de l’appliquer à tous les types de nourriture que nous consommons: ce que nous écoutons, ce que nous regardons, et ce que nous lisons, sont aussi de la nourriture. Si je ne me donne pas l’espace d’ingérer des éléments qui me nourrissent à un niveau spirituel, alors, je sens que je manque de nourriture, et je ne suis pas capable d’offrir une réponse appropriée. Je ne suis pas en train de me ressourcer à un niveau plus profond avec du silence, de la pleine conscience, et de la paix, permettant à mon esprit de prendre une pause par rapport à tout ce qui a besoin d’être fait et qui est sur ma liste des choses à faire.
Quand les attentats du 11 septembre ont eu lieu, j’étais en voyage avec Thây et la Sangha. Nous étions en Californie du Sud, dans un bus en direction de la Californie du Nord, où Thây allait donner un enseignement à Berkeley. Nous avons appris ce qui s’était passé alors que nous étions dans le bus, et nous étions tous très énervés. Sans perdre un instant, nous nous sommes mis à penser à la manière dont nous pouvions nous organiser une fois arrivés dans la Bay Area pour faire une sortie de presse, pour obtenir du matériel chez Parallax Press, notre éditeur, et pour aider Thây à préparer l’enseignement qu’il allait donner à Berkeley. Nous voulions passer à l’acte tout de suite, et nous étions plutôt anxieux.
Nous sommes allés trouver Thây et nous lui avons dit que nous voulons faire toutes ces choses afin de pouvoir répondre bien et vite à ce désastre. Nous sommes donc allés le trouver le soir de notre arrivée, et nous lui avons dit que nous voulions partir la journée suivante en repérage pour préparer toutes ces choses.
Et sa réponse a été très puissante. Il a dit: « Non, je ne veux pas que vous fassiez cela. Ce que nous avons tous besoin de faire maintenant, c’est d’être calmes. Nous avons besoin d’être tranquilles. Nous avons besoin de nous recueillir et de nous nourrir ».
Nous avons été surpris. Nous voulions passer à l’acte, et Thây disait: « Arrêtez ».
Le jour suivant, Thây a dit que nous irions tous à la plage. Nous étions dans un monastère proche de la plage. Tout le monde y est allé, et nous avons pris cette journée pour jouer, nager, et être là les uns avec les autres, comme frères et soeurs.
Cela a été une grande leçon pour moi au sujet de ce qu’est une réponse appropriée. Parce que nous étions tous sur le point de traverser une tempête et que Thây a dit que nous avions besoin de prendre bien soin de nous; c’est cela qui vient en premier. Et la réponse de toute la communauté a été très consistante. Son message pour tout le monde après les attentats du 11 septembre, quand il a parlé à Riverside Church à New York, était que nous devions revenir en nous-même, et prendre bien soin de nous-même. Nous avons besoin d’éteindre la flamme de colère et de vengeance, et toucher la paix, la tranquillité, et l’amour, qui sont là afin de pouvoir faire la paix et d’aller vers les autres. Cette excursion à la plage était un bouclier très puissant grâce auquel nous pouvions absorber ce qui autrement nous aurait changés en pierre si nous nous y étions directement confrontés comme nous avions voulu le faire.
Je vous invite donc à vous asseoir avec cette question, aujourd’hui ou pour autant de temps que vous le souhaitez: Quels sont les boucliers dont nous pouvons nous munir dans notre vie?
Quels sont les façons dont nous pouvons aller aux devants de ce qui est en train de se passer dans notre vie, dans notre communauté, et dans le monde, afin de pouvoir y répondre de manière appropriée et sans être submergé? Merci.