Mon père et moi

Écrit par frère Pham Hanh

Je me souviens encore avec vivacité de ma communauté quand j’étais un jeune garçon. Il nous fallait monter les escaliers pour arriver dans une grande salle avec des vitraux. Elle était pleine de frères et soeurs plus âgés et d’autres plus jeunes, ou d’oncles et de tantes, comme nous les appelions en tant qu’enfants. Petit garçon, je m’asseyais à côté d’un frère plus âgé et j’avais des mentes et d’autres friandises, mais je devais rester assis sans bouger. Je me souviens encore, plus que de n’importe quelle autre choses, du sentiment que j’avais de pouvoir être qui j’étais, et d’être aimé.

Ces impressions et ces expériences font encore partie de moi, et je me sens riche. Je ne suis peut-être pas capable d’expliquer avec des mots ce que c’est d’être Apostolique, mais je sais avec certitude que cela a posé la base sur laquelle s’est édifiée ma vie. Mes parents ont vraiment fait de leur mieux pour donner ce qu’ils pouvaient. Bien que nous ayons eu à traverser des tempêtes et des difficultés, nous sommes encore très proches les uns des autres.

Quand j’ai découvert la tradition de Thich Nhat Hanh et du Village des Pruniers, c’était pour moi comme de revenir à la maison. Les pièces du casse-tête ont toutes trouvé leur place et j’ai pu me voir sous une lumière entièrement nouvelle. C’est allé si loin que je suis devenu moine, et maintenant, je peux faire l’expérience de ce chemin si beau avec ma deuxième communauté.

En tant que moine, on vit dans une communauté avec sa Sangha, mais une fois tous les deux ans, on peut rendre visite à sa famille pendant une période de deux semaines. Cela paraît court, mais via FaceTime, je fais beaucoup d’appels vidéo-phoniques à ma famille, et elle me rend souvent visite. Je n’ai pas le sentiment de vivre très loin d’elle. Et quand je reviens chez moi, j’ai l’impression de n’être jamais parti. Mais dès que je suis chez moi, ma communauté Apostolique me manque. Au cours d’une de mes dernières visites parmi ma famille, je suis allé à la prière du dimanche dans cette communauté. C’était une occasion spéciale, parce que mon père apportait son aide ce jour là. Bien qu’il ne soit plus pasteur à cause de raisons de santé, il lui arrive parfois d’aider à l’église. C’est exactement au moment où j’étais à la maison qu’on lui a demandé d’apporter son aide.

Ce matin là, j’étais assis à côté de ma mère. C’était particulier de se sentir à nouveau chez soi dans cette communauté et de partager ce moment avec mes parents. Le discours de mon père était merveilleux, inspirant, et authentique. Le moment est venu du « rondgang », un vieux rituel autour de pain et de vin. Mon père a été invité à accomplir cette tradition. Toute la communauté s’est doucement avancée, et le choeur chantait. J’écoutais et j’attendais à côté de ma mère qui menait encore les chants. Comment c’est arrivé, je ne le sais pas exactement, mais soudain je me suis retrouvé à être la dernière personne dans la file d’attente. Ma file était plus lente, probablement, parce que mon père prend toujours son temps. L’autre file était déjà vide et beaucoup de personnes m’avaient « dépassé » en changeant de file.

Cela m’a mis dans un dilemme parce que profondément en moi, je ne voulais pas causer de désagrément aux autres et en tant que dernier de ceux qui attendaient, ne pas changer de file signifiait que toute la communauté aurait à m’attendre. Mais j’étais à nouveau là, de retour chez moi dans la communauté apostolique après une longue période. Je me tenais là comme moine apostolique et bouddhiste, faisant la file au devant de mon père.

C’est mon moment, c’est mon père…

Je peux prendre ce moment.

Ce moment ne va pas s’écouler entre mes doigts.

Cela a mis un certain temps, et puis je me suis retrouvé debout en face de mon père. Il m’a regardé dans les yeux pendant un long moment, et je l’ai regardé. Le silence régnait dans la communauté et tout le monde nous regardait. Un sourire, une connexion. Je me tenais debout dans ma force, et mon père se tenait debout, à nouveau dans sa force.

Quand j’avais dit à mon père que je voulais devenir moine, il avait répondu: «  Il y a peu de gens qui font vraiment le pas de vivre ce qu’ils souhaitent profondément vivre dans leur vie. Je suis fier de toi, tu as mon soutien ». Eh bien, je n’ai pas rebroussé chemin, et c’est bien.

– « Beaucoup ou peu de vin ? » a-t-il demandé.

– « Beaucoup, » ai-je répondu.

– «C’est ce que je pensais, » dit-il avec un sourire.

Il a trempé le petit biscuit sec* dans le vin.

« L’offrande de votre âme a été acceptée et confirmée par ce présent. »

Le petit biscuit sec dans ma main, l’expression du visage de mon père. Cela a si bien été un moment durant lequel le temps s’immobilise. Mon père, son fils —tant d’amour, tant de choses données à ses enfants—tant d’essais, d’échecs, et d’essais à nouveau. Cela a été un moment de gratitude. Cela a été un moment de connexion réelle et d’amour véritable.

« Amen. Je t’aime, papa ».

La communauté était silencieuse. Ce moment, si intime, si réel; le partage était le don.

On donne tellement plus qu’on ne le pense en se contentant d’être qui on est et en prenant l’espace qui est déjà donné. On ne sert pas le monde en se rendant plus petit ou plus grand: on sert véritablement en étant simplement soi-même.

*le petit biscuit sec représente l’Eucharistie et a la taille d’une pièce de 2 euros.

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