J’aimerais partager avec vous à propos de mon moment avec Thây pendant la Retraite de 21 Jours au Village des Pruniers en France, et à propos des réflexions qui ont été amenées par ce moment. S’il-vous-plaît, prenez quelques respirations avant de continuer à lire, de façon à pouvoir sentir que vous aussi, vous étiez là avec moi. C’est mon but en vous partageant ceci, mes amis.
Le 14 Juin 2016, j’ai eu un moment avec Thây sur la colline au Hameau Nouveau, durant la deuxième moitié de la retraite. Nous avions une Journée de Pleine Conscience au Hameau Nouveau et Thây nous avait rejoints pour marcher jusqu’en haut de la colline (ses attendants l’y ont acheminé dans sa chaise roulante bien sûr). Nous nous sommes tous assis sur la colline pendant que Thây buvait du thé et prenait plaisir à la vue et à la présence des personnes qui l’entouraient. J’étais près de lui, devant, et je voulais me prosterner devant lui, mais j’hésitais beaucoup à demander la permission de le faire parce que les gens étaient juste assis là et ils prenaient des photos de lui. Personne ne faisait de Toucher de la Terre.
Finalement, j’ai été courageuse et j’ai demandé à une moniale aînée qui prenait soin de Thây si je pouvais me prosterner devant lui. Elle a dit oui ! Elle m’a appelé pour que je vienne plus près de Thây, alors je suis venue devant lui et j’ai fait un toucher de la terre complet à ses pieds. J’ai aussi invité ma mère et mon père à se prosterner avec moi. J’ai imaginé ma mère utilisant mon corps pour se pencher avec moi de façon à ce qu’on touche la terre ensemble. Touchant la terre avec le revers des mains, mes bras, mon front, et mes genoux sur le sol, j’ai été ramenée au temps où j’étais aspirante, portant la robe grise et me préparant à recevoir l’ordination au cours du programme de trois mois « Entrer dans la Liberté » pendant la Retraite de la Saison des Pluies au Village des Pruniers de Thaïlande, l’an dernier; et puis au temps où ensuite j’étais novice, portant la robe brune et pratiquant les Gathas de pleine conscience quotidiens (des petits poèmes qui nous aident à pratiquer la pleine conscience au cours de nos activités quotidiennes) dans la salle de classe. Je me suis aussi souvenue du temps où je souriais, portant un bol à aumônes dans mes deux mains en descendant la rue du village; et puis le moment d’assise dans la salle de méditation au Hameau du Bas et l’écoute du chant Namo Avalokiteshvara le premier jour de la Retraite de 21 Jours. Et maintenant, je faisais une prosternation devant Thây. Je me suis sentie calme, légère, et pleine de profonde gratitude.
Au moment où je me suis levée, les yeux de Thây et les miens se sont rencontrés. Les yeux de Thây étaient des yeux que je n’oublierai jamais dans ma vie: de la gentillesse et de la compassion véritables, une compréhension profonde, de la force, de la solidité, de la puissance, avec de l’amour; et cela donnait un sentiment de tant de chaleur et de sécurité. Il m’a transmis de la confiance, de l’assurance, de l’amour, et l’encouragement envers ses étudiants à pratiquer, à être solide et paisible à l’intérieur. Je me sentais si émue dans mon coeur. Je me sentais forte, et je fondais en même temps. Je sentais qu’avec ce seul regard, il avait pénétré profondément en moi, m’avait vue avec clarté et avait tout compris. Ou alors, cela aurait pu être à l’inverse: avec ce regard profond de pleine conscience, j’étais celle qui comprenait et c’était moi-même qui pénétrais Thây profondément en moi. J’ai ressenti que le grand arbre en moi remuait ses feuilles avec bonheur au gré du vent. L’herbe sur la colline tout autour de nous était aussi en train de remuer avec le vent. C’était un très beau moment. Tout autour de nous était immobile et en paix.
Je suis restée assise devant Thây pendant qu’il continuait à boire sa deuxième tasse de thé avec sa main gauche. J’attendais là parce que j’avais une petite pierre du Village des Pruniers en Thaïlande à lui donner, sur laquelle j’avais écrit la calligraphie en Thaïlandais « Souris ». Thây me regardait et il a opiné de la tête une première puis une deuxième fois. Je me suis donc tournée vers son attendant qui m’a dit de revenir à ma place pour prendre mon déjeuner (nous avions tous emballé notre déjeuner avant notre marche à la colline). Je lui ai répondu: « Mais j’ai une pierre à donner à Thây ». J’ai ouvert ma main pour lui donner la pierre blanche. L’attendant l’a prise et il a souri au point qu’on aurait dit que ses yeux étaient devenus de fine lignes. Il a ensuite donné la pierre à Thây et Thây a incliné la tête pour voir la petite pierre avec le mot thaïlandais « ยิ้ม » prononcé « Yim » (« souris ») entouré par un cercle. Il a opiné de la tête deux fois, et ses lèvres ont pris la forme d’un sourire. Je pense qu’il se souvenait de ce mot en thaïlandais (auparavant, « ยิ้ม » était l’une des calligraphies qu’il écrivait en thaïlandais). Son attendant m’a à nouveau fait signe de retourner à ma place, et j’ai commencé à prendre mon déjeuner.
Thây a fini sa tasse de thé et il a fait signe à ses attendants de le redescendre de la colline. Nous nous sommes tous levés pour nous incliner devant lui. Nous avons ensuite continué savourer notre repas et à nous réjouir de la vue. Au bout d’un moment, il s’est mis à pleuvoir et nous nous sommes rassemblés pour redescendre au Hameau Nouveau. Après que Thây est parti, j’ai commencé à me sentir timide alors que les gens me regardaient beaucoup et souriaient. Une femme d’un certain âge s’est assise tout près de moi et elle avait les larmes aux yeux. Elle m’a souri et je lui ai rendu son sourire. Après cela, je n’ai plus regardé personne parce que je me sentais si timide et je sentais que mes joues devenaient roses.
Peu avant cet évènement, j’étudiais avec Soeur Chan Doc au Village des Pruniers de Thaïlande pendant la Retraite de Trois Mois de la Saison des Pluies, et je lui avais rendu mon devoir sur la méditation assise. Elle avait écrit au verso de la feuille: « Merci, ma chère. Continue à aller plus loin, et amène cela davantage dans ta vie quotidienne ». Je ne savais pas exactement comment « amener davantage dans ma vie quotidienne » les expérience vécues au cours de la méditation. J’ai partagé mon moment avec Thây avec ma Sangha Wake Up de Bangkok quand je suis rentrée en Thaïlande après la Retraite de 21 Jours; j’ai partagé que j’aimais tant l’expression des yeux de Thây, qui était si puissante avec de la compréhension véritable, de l’amour et de la compassion illimités.
L’un de mes amis m’a dit plus tard qu’il était heureux d’entendre que j’avais passé ce moment avec Thây, et qu’il aspirait aussi à pratiquer pour avoir un tel regard, même s’il y avait des chances qu’il ne soit pas aussi imposant que celui de Thây. Grâce à notre regard, nos yeux se font reflet d’une grande transformation de la souffrance et de la compréhension véritable qui surgit. Nous aimerions tous plonger dans le regard de Thây, ou du Bouddha, mais sommes-nous en train d’apprendre à regarder tout ce qui se présente à nous de la même façon que Thây regarde quelqu’un, regarde tous les êtres qui se présentent à lui ? Les phrases de cet ami sont toujours restés avec moi depuis qu’il me les a dites; je savais que c’étaient des phrases auxquelles je devrais revenir pour y regarder plus profondément afin de « continuer à aller plus loin et à les amener dans ma vie quotidienne ».
Le dimanche 17 juillet 2016, l’équipe de bénévoles du Village des Pruniers de Thaïlande a organisé une activité pour servir des adolescents dans une maison de détention juvénile, où nous avons passé une journée entière avec dix jeunes garçons qui causaient des troubles dans l’établissement et étaient séparés du reste du groupe. Cette activité m’a permise d’avoir la chance d’écouter les adolescents parler de ce qu’ils ressentaient dans leur coeur. L’activité a aussi donné l’opportunité aux adolescents de s’écouter les uns les autres pour qu’ils puissent chacun comprendre les sentiments de leurs amis et se soutenir les uns les autres de façon à pouvoir demeurer dans cette maison d’une façon plus heureuse. Nous nous sommes divisés en plus petits groupes pour chaque activité tout au long de la journée et nous nous sommes assis de façon à pouvoir voir le visage les uns des autres. À la fin de la journée, nous nous sommes réunis en un grand cercle. Après plusieurs heures passées ensemble, nous avions de plus en plus de confiance de leur part. À ce moment là, mon regard et celui d’un des adolescents se sont croisés et nous nous sommes regardés dans les yeux.
Dans les yeux de cet adolescent, je ressentais aussi la présence des yeux de Thây. Que les yeux de Thây étaient aussi présents dans ses yeux et qu’une partie de l’expression de ses yeux était aussi l’expression des yeux de Thây, je l’ai vu après m’être prosternée devant lui. Soudain, j’ai su à ce moment même que j’étais en train de regarder cet adolescent avec profondeur, avec les yeux de Thây, à ma propre façon. J’ai alors compris comment « amener cela davantage dans ma vie quotidienne ». Plus tard, j’ai partagé avec le groupe de bénévoles que je voulais aussi écouter mon petit frère, chez moi, l’écouter dire ce qu’il avait dans l’esprit en ce moment. C’est ce que j’ai fait en rentrant chez moi en fin de journée; je lui ai demandé comment il se sentait avec les changements qui étaient en train d’avoir lieu dans sa vie, et je l’ai écouté profondément avec ma présence. Je souhaite continuer la pratique qui consiste à regarder tous les êtres avec les yeux de la compassion et à écouter profondément avec toute ma présence.
Pusanisa Kamolnoratep
Nom du Dharma: Soeur Courant du Nuage Pur
24 juillet 2016